RAS aujourd'hui dans le RER A que j'ai emprunté ce jour le matin comme le soir. Rames à deux étages, places assises, horaires respectés et temps de trajet normal. Une bonne journée pour le naufragé.
Ces conditions de voyage m'ont permises de mener presque à son terme la lecture du dernier roman d'Umberto Eco, "Le cimetière de Prague".
Pour moi ce n'est pas un chef d'œuvre. J'ai lu tous ses romans et même si je les apprécie parce que c'est un vrai romancier qui aime raconter des histoires, je n'ai jamais retrouvé le foisonnement stylistique et la puissance de narration de son premier ouvrage "Le nom de le rose".
Tout de même, j'ai envie de vous servir cette citation tirée donc, du "Cimetière de Prague" : "L'identité nationale est la dernière ressource des déshérités. Or le sentiment de l'identité se fonde sur la haine, sur la haine de qui n'est pas identique. Il faut cultiver la haine comme passion civile. L'ennemi est l'ami des peuples. Il faut toujours quelqu'un à haïr pour se sentir justifié dans sa propre misère. La haine est la vraie passion primordiale...La haine réchauffe le cœur."
Ces propos sont tenus par l'un des personnages qui cherche à détourner dans la Russie tsariste, l'attention du peuple vers la haine du "juif" pour éviter qu'elle se porte sur un régime autoritaire, cause véritable de ses tourments.
L'air du temps est peu propice à la tolérance et dans les couloirs du RER, ce soir, j'ai assisté de loin à une altercation opposant des passagers de différentes couleurs avec une intervention en prime de la police, illustration désolante du climat délétère que notre gouvernement instaure par sa politique. Soudain, j'ai cru entrevoir parmi les curieux qui contemplaient la scène, la silhouette trapue d'un homme aux lunettes noires ressemblant étrangement à celle d'Adolfo Ramirez. Un sourire en coin plissait sa petite moustache et tout dans son maintien respirait cette haine évoquée plus haut.
A part cet incident insignifiant et banal, rien donc de particulier, si ce n'est, toutefois, qu'un naufragé "honnête homme" en vienne à considérer malgré lui comme de nulle importance ce "fait divers".
En arrivant à Maisons-Laffitte, j'ai refermé mon livre et je me suis récité mentalement cette prière que je connais presque par cœur:
"Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant."
Voltaire, Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763), chapitre XXIII.
Deezer : Le temps des cerises, Cora Vaucaire
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire