mercredi 20 avril 2011

Mercredi 20 avril 2011 - Roulette russe (2)

Ce soir, arrivée à 19h31 dans le hall de la station Auber. Et là, le naufragé se dit "re merde" et "nom de Dieu !", oui l'orange est encore mis. "Accident de voyageurs à Châtelet, trafic perturbé sur l'ensemble de la ligne, reprise progressive de la circulation". Le naufragé a le sentiment de ce fameux "jour sans fin" que vit Bill Murray dans sa petite ville américaine.
Un Poissy est affiché pour 19h42. J'attends. Deux rames pour St-Germain-en-Laye puis deux rames à deux étages dont le deuxième à peu près vide se succèdent en deux minutes pour Cergy. J'hésite à prendre la seconde, m'arrêter à Sartrouville et reprendre le train SNCF pour Maisons-Laffitte serait sans doute la solution raisonnable. Mais la fatigue prend le dessus, la flemme quoi...Je fais tourner une nouvelle fois le barillet et j'attends le train de Poissy.
19h42, il arrive et je monte, le revolver fera-t-il clic ou pan. Espoir avec en prime, un de ces petits plaisirs que se paye l'observateur. Un couple monte et s'installe non loin de moi, je l'utiliserais certainement dans ma typologie pour la "Bourgeoise". Très propre sur lui ce couple, la femme est habillée d'un tailleur pantalon de couleur gris perlé et elle a des perles manifestement de grand prix autour du cou. Elle est mécontente et son époux au costume d'un grand chic lui dit "mais ma chérie, ce sera plus rapide, tu sais" et elle de répondre "le RER quand même !" et son mari ajoute "tu l'as déjà pris, non ?" "Oh oui" dit-elle" " C'est la seconde fois". En français utiliser second au lieu de deuxième, signifie qu'il n'y aura pas de troisième et au ton de cette bonne bourgeoise, on devine aisément que cela se vérifiera ! Heureux les nantis, "les pauvres d'esprit", eux, sont condamnés à le prendre au minimum deux fois par jour 250 jours dans l'année. Je pense à cette inénarrable et véridique anecdote concernant Valéry Giscard d'Estaing qui voulant faire "peuple" avait pris le métro peu de temps après son élection de 1974. A un journaliste qui lui demandait si son trajet s'était bien déroulé, Giscard avait répondu avec son inimitable débit "Oui, très bien, c'était amusant, il faudra que je recommence". Le couple descend naturellement à la station Charles de Gaulle - Étoile, le parcours n'aura pas été trop long.
Mais trêve de plaisanteries, moi je poursuis mon périple, la conscience en paix.
Arrivée à la Défense. Le train ne repart pas. Annonce du conducteur "apparemment il y a un problème sur le tronçon SNCF à partir de Nanterre-Préfecture", nous allons attendre quelques instants. "Eh oui cela se confirme, ça ne va pas, je suis désolé, tout le monde descend, je continue à vide sur Rueil, il y a un RER quai B qui va sur Cergy, je vous conseille de le prendre". Est-ce encore la "relève" SNCF qui pose problème, mon conducteur SNCF type a-t-il encore ses doutes existentiels ? Les voyageurs sortent et se précipitent sur le RER pour Cergy. Ce que je n'avais pas choisi tout à l'heure, je le "prends", je descendrai à Sartrouville pour reprendre la SNCF.
Je suis installé et assis. Nouvelle annonce de ce nouveau conducteur de cette nouvelle rame "nous devons attendre à quai, il y a un grave accident de voyageurs à Nanterre-Préfecture". Re re merde se dit le naufragé. Est-ce la solidarité entre néanmoins frères ennemis RATP et SNCF qui joue ? En effet, la rame démarre, va passer à Nanterre-Préfecture sans aucun problème, où est l'accident ? Perplexité !
Quand la rame démarre à la Défense, le conducteur nous commente tout joyeux "nous allons reprendre notre marche" et l'on dirait Mao Zedong nous haranguant durant la "longue marche". La voix féminine de la bande pré-enregistrée qui annonce automatiquement la destination desservie et les stations, nous confirme Cergy et l'absence de desserte pour Houilles et Maisons-Laffitte. Une minute plus tard, le conducteur rectifie "Mesdames et Messieurs, ce train  a en fait pour destination Cergy mais s'arrêtera à toutes les stations, Houilles et Maisons-Laffitte compris".
Soulagement des naufragés concernés.
C'est alors qu'ils  vont être les témoins d'un grave cas pathologique de dédoublement de la personnalité, la rame va avoir deux voix. Un combat épique va se dérouler entre l'homme et la machine au détriment de l'équilibre nerveux des passagers. Ainsi toutes les deux minutes, la voix féminine de la bande pré-enregistrée et manifestement déréglée nous assène "direction Cergy ne s'arrête pas à...", démentie quelques secondes après par la voix mâle, la voix humaine du conducteur "ce train va bien à Cergy mais il desservira bien toutes les gares". Hallucinante parodie du film I, Robot mais pas drôle du tout.
A Sartrouville, la lutte continue, la machine croit avoir le dernier mot, plongeant les naufragés comme moi dans les affres mais la voix qui nous semble, Ô miracle, chaleureuse du conducteur nous rassure. La machine est vaincue en tout cas pour nous car pour les autres, rien ne dit qu'elle n'aura pas le dessus après Maisons-Laffitte !
Nous somme pressés, égoïstement, de laisser se dépatouiller le conducteur avec son HAL et nous descendons enfin là d'où nous allons pouvoir regagner notre bercail.
34 minutes de trajet, finalement le revolver a plutôt fait clic !

Deezer : Gyorgy Ligeti, Lux aeterna

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