dimanche 27 février 2011

Conducteur de rame

J'ai connu encore dans ma petite enfance, les locomotives à la Gare saint-Lazare.
Je me souviens d'un jour, surtout, où, accompagné de ma mère, je restais planté émerveillé et aussi un peu terrifié devant l'une de ses machines. Elle fumait, éructait des jets de fumée blanche avec cette odeur si particulière de vapeur d'eau et faisait un boucan d'enfer. Soudain, un visage tout droit sorti de la "bête humaine" de Zola, revu et corrigé par Jean Renoir s'est penché vers moi du haut de ce monstre écumant. Un large sourire illuminait cette figure de cheminot barbouillée de suie, surmontée de lunettes de plongeur et mise en valeur par le trait d'un foulard rouge sang. Le conducteur s'adresse à ma mère et lui demande gentiment si elle accepte qu'il me fasse visiter le poste de conduite. Accord naturellement et c'est ainsi que me hissant dans ses bras, j'ai pu avec cette "bête humaine" contempler de près une locomotive avec son foyer ardent nourri du charbon qui nous surplombait de toute sa masse située derrière nous. Ce cheminot était fier de son métier et ravi de le faire connaître. Autre époque…

Plus tard, adolescent, j'ai connu les poinçonneurs du métro comme dans la chanson de Gainsbourg. Ceux-là étaient déjà beaucoup moins avenants, l'amour des petits trous ne pouvait rien avoir de commun avec celui de conduire une locomotive. L'ennui et la routine étaient au rendez-vous. Toutefois, le port de l'uniforme leur conférait une certaine allure, soldat perdu des souterrains métropolitains.

Aujourd'hui, ces temps sont révolus, le conducteur de nos rames du RER A est quelqu'un comme vous et moi. Celui qui figure en illustration est très représentatif de son espèce. Trente-cinq ans, le cheveu souvent long et en bataille, la barbe mal rasée, vêtu d'un jean et de baskets bon marché, portant négligemment posé sur l'épaule un sac à dos, le conducteur de rame RATP ou SNCF, semble toujours plongé dans un doute existentiel "Vais-je ou non prendre mon poste et conduire ce train ?" Soumis aux aléas de matériel, en attente des dernières consignes syndicales du jour qui suspendent sa prise de poste à l'obtention d'une nouvelle prime, le conducteur hésite, tergiverse. Pour peu que des problèmes conjugaux viennent en plus le perturber et c'est tout le trafic qui en subit les répercussions. 

L'interconnexion Nanterre-Préfecture est le lieu privilégié pour effectuer cette observation, puisque les caprices d'une organisation démente, impose un changement de conducteur selon le tronçon. RATP ou SNCF, le conducteur appartient à deux univers parallèles, il faut croire que selon que l'on est "ratpiste" ou 'sncfien", la science du bidule qui sert à démarrer ces engins nécessite une approche différente.
C'est là, à cette interconnexion que vous pouvez vivre ces instants surréalistes, où le conducteur RATP vous annonce que le train restera à quai un certain temps et parfois un temps certain, en attente de la relève du collègue SNCF qui n'est pas encore arrivé. Cela marche dans les deux sens et c'est d'ailleurs bien la seule chose qui marche dans cette affaire.

Tout à coup, vous le voyez qui arrive en se pressant conscient de ses responsabilités mais le plus souvent et je regrette de le dire, c'est en traînant les pieds comme à reculons, comme un écolier qui n'aurait pas fait ses devoirs qu'il passe devant vous, médusé, accomplir sa corvée.
Le conducteur de rame est donc comme vous et moi, ce travail épuisant lui permettra de prendre une maigre retraite mais dès l'âge de cinquante ans et en l'attendant tel le poinçonneur des Lilas, il porte son vague à l'âme en bandoulière comme il trimballe son sac à dos.

Autre époque… "To be or not to be", se dit notre ami conducteur tandis que le naufragé du RER A résigné, soupire de soulagement espérant que son conducteur pris d'un soudain remords ne prendra pas ses jambes à son cou pour fuir définitivement vers de meilleurs pâturages et le planter solitaire dans ce tunnel lugubre et désespérant !

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