mercredi 23 février 2011

Mercredi 23 février 2011 - Lebensraum

RAS ce soir dans le RER A. 
Je monte à Auber dans une rame à un étage. Il y a un peu de monde mais je trouve une place assise sur un des strapontins près de la fenêtre qui se situent légèrement en retrait des portes et qui permettent, si l'affluence n'est pas trop importante, de ne pas avoir à se lever. Un homme prend place à côté de moi.
Station Charles de Gaulle – Etoile, les choses se gâtent un peu, des voyageurs rentrent en assez grand nombre et certains se tiennent debout au milieu de la travée. L'un d'eux déplie son journal et s'accote discrètement au bord extérieur de la banquette placée derrière nous. Les soubresauts de la rame provoquent un glissement progressif du lecteur absorbé et celui-ci par moment s'appuie sur mon voisin. Ce dernier doit avoir entre trente-cinq et quarante ans. Assez grand et bien baraqué, les cheveux courts voire presque ras, il est vêtu d'un complet veston et d'une chemise d'une blancheur éclatante portée sans cravate. Il a posé entre ses jambes ce qui semble un sac de sport noir sans fioritures. Je me concentre sur ma propre lecture presque arrivé à la fin de mon bouquin sur La Pérouse. Je parcours un passage fort intéressant où le fameux explorateur se livre à une analyse comparative des mœurs civilisées et celles curieuses de je ne sais plus quelle peuplade exotique. Je sens chez mon voisin une légère crispation. Il me fait une étrange impression, je n'arrive pas à déterminer son type : cadre propre sur lui, nickel mais décontracté avec en option le sac de sport contenant la tenue de squash incorporée pour jouer entre midi et deux ; vigile ayant terminé son astreinte et le sac avec la tenue de service ; garde du corps ou militant d'extrême-droite de retour de congrès, avec pour les deux le sac abritant nunchaku et/ou pistolet mitrailleur Uzi. Je le sens qui s'énerve de plus en plus, il grince des dents, sa jambe droite s'agite nerveusement et il se tortille sur son siège.
C'est alors que je comprends qu'il ne supporte pas que le lecteur "vertical" le touche en s'appuyant sur lui et soudain d'un ton peu amène, mon voisin lui lance poliment mais très sèchement "monsieur s'il vous plaît, pourriez-vous cesser de vous coller à moi". L'autre est un peu décontenancé et s'excuse.
Le trajet se poursuit. On dit que chaque société a sa conception de l'espace "vital" personnel, de la sorte de bulle qui entoure chaque individu et du respect qu'il faut lui porter, faute de quoi des désagréments peuvent survenir. Au Japon par exemple la distance qui sépare deux hommes qui sont en conservation ne serait pas la même qu'en occident. Cela se rapproche un peu de ce que je lis avec La Pérouse. La nervosité de mon voisin augmente, le lecteur "vertical" soit qu'il le fasse exprès soit qu'il ne se rende pas compte de ce qu'il fait, le nez plongé dans son quotidien du soir, continue de s'appuyer légèrement sur mon voisin. Alors il éclate et à très haute voix articule brutalement "je vous prie de cesser de me toucher, vous êtes peut-être homosexuel mais pas moi". La voix est cassante, le ton agressif et la raideur du corps menaçante. Le lecteur "vertical" ne fait pas le poids visiblement, il verdit nettement et se disant qu'après tout il est peut-être tombé sur un fou, opère une prudente retraite. Sur ces entrefaites, Houilles - Carrières sur Seine arrive et mon voisin excédé s'extirpe brutalement de son siège et d'un pas martial sort du train.


Je me souviens d'un fait-divers sanglant qui s'est déroulé dans le métro parisien il y a quelques années. Un individu sans aucune raison avait traversé la voie, sortit une machette et avait proprement tranché la gorge d'un malheureux voyageur qui se trouvait manifestement au mauvais moment et au mauvais endroit. Si je ne m'abuse, l'assassin court toujours.


Le RER A est décidément un monde cruel et brutal, souvent dangereux, je crois que le lecteur "vertical"  a peut-être échappé à un destin tragique car qui peut savoir ce qu'il y avait dans ce sac de sport noir sans fioritures...

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