Train ce matin sans problème, par contre ce soir le "jaune est mis" à la station Auber, "incident électrique", trafic perturbé sur la ligne RER A dans les deux sens.
Par prudence, je regagne la gare Saint-Lazare pour emprunter le train SNCF.
Après Bécon-les-Bruyères, Nanterre-Université, arrêt quelque peu prolongé. La nuit est presque tombée, les lumières de la ville scintillent, les bâtiments de l'université sont éclairés, notamment celui de ce qui doit toujours être la fac de droit où j'ai commencé mes études en 1970.
Tout à coup, le naufragé du RER A, transfuge temporaire de la SNCF se rappelle pourquoi l'association de cette gare et de la date du 22 mars lui titillait la mémoire.
22 mars 1968, c'est à cette date que le mouvement qui prenant le relais de celui du 21 mars 1967, a été déclenché et c'est à sa suite que les évènements de mai 1968 sont intervenus. Un certain Daniel Cohn-Bendit en était le leader.
A cette époque et encore à celle où j'y fus étudiant, la gare n'était pas celle de Nanterre-Université mais celle de La Folie-Nanterre, tout un programme ! Les années 70 que j'ai connues à Nanterre ne furent pas tristes et durant deux ans, les relents de mai 1968 s'y firent sentir.
Rien de comparable cependant avec les évènements eux-mêmes que j'eus l'immense privilège de vivre en direct en totale immersion, dans mon lycée en plein cœur du Quartier Latin, à la marge des CAL (Comités d'Actions Lycéens).
Dernier évènement "romantique" du 20ème siècle que ceux qui ne l'ont pas vécu, n'ont jamais pu comprendre, venant même à en vouloir effacer toute trace de la mémoire nationale. Survivance miraculeuse et anachronique de l'esprit de 1830, ultime manifestation d'une jeunesse pure et noble dont l'innocence est à jamais perdue.
Une jeunesse dont les seuls mots d'ordre contestataires se résument aujourd'hui dans la défense de la retraite à soixante ans !
Par la fenêtre crasseuse du wagon, je contemple mélancolique et nostalgique cette université et les vestiges de ma jeunesse, je me murmure doucement ces quelques paroles de Léo Ferré :
"Nous avons eu nos nuits comme ça moi et moi
Accoudés à ce bar devant la bière allemande
Quand je nous y revois des fois je me demande
Si les copains de ces temps-là vivaient parfois"
Accoudés à ce bar devant la bière allemande
Quand je nous y revois des fois je me demande
Si les copains de ces temps-là vivaient parfois"
Que sont-ils devenus ? Certains sont morts, d'autres sont devenus ministres, d'autres encore n'aspirent plus qu'à être commentateur de match de foot et moi je suis devenu un simple naufragé du RER A, bloqué dans cette gare un 22 mars. Une gare qui n'a plus rien de la folie, à moins que cette folie se soit incrustée dans un secret repli de mon cerveau, préservée comme une perle minuscule, une étincelle faiblissante mais persistante, petite source rafraîchissante capable de m'éviter, qui sait, l'aridité et la sécheresse des vieux cons.
(Deezer : Ay Carmela, Chant de la Guerre d'Espagne).
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