mercredi 23 février 2011

Epave




Des épaves il y en a partout à Paris. Toutefois, le naufragé du RER "A" constate qu'elles se concentrent fortement dans les rames du RER et dans les wagons de la SNCF. Ces épaves colonisent également les halls et les très proches alentours des différentes stations et gares.

Le naufragé les fréquente par obligation, les subit forcément et selon son degré de compassion et les limites de sa patience finit par les accepter bon gré mal gré comme des usagers ordinaires, compagnons de galère.
Compagnons de galère mais pas de misère, car le naufragé a toujours l'espoir chevillé au corps. Il sait qu'à la différence de ses devanciers soumis aux fortunes de mer, lui, finira  toujours par aborder au rivage salvateur. Il retrouvera le havre et il pourra redevenir un "homme", un citoyen et non cet anonyme perdu dans l'immense troupeau des usagers, bétail humain broyé par la vie citadine.
L'épave, elle, n'a plus d'espoir. Ses seules espérances sont le confort temporaire d'un banc voire d'une place dans une rame, la chaleur souterraine, la pièce dans la main tendue, les restes des poubelles et plus rarement un sourire échangé avec un naufragé fatigué et las mais taraudé par un malaise incertain oscillant entre culpabilité et pitié.
Ce sourire il l'adresse aux épaves qui dérivent lentement tout autour de lui au fil du courant des passagers dont le flux et le reflux anime la grande houle du métropolitain. Il les confond en un même visage ravagé, en une même silhouette tordue par les souffrances d'un enfer quotidien et multipliés à l'infini. Pourtant, le naufragé s'il s'en donne la peine, distinguera derrière le masque uniforme de la pauvreté, des individus bien différents des uns des autres, par leur physique, leurs origines, leur hiérarchie. Il devinera ou croira déceler les histoires, les destinées, dans leur regard il discernera à quel point la perdition, la dépravation, les privations et l'humiliation auront dégradées leur âme de damné.
Épaves, ils errent et vagabondent en permanence à nos côtés dans un univers parallèle à la frange de notre mauvaise conscience. On dit souvent des usagers du RER, murés dans leur espace personnel, indifférents à toutes choses d'autres qu'eux-mêmes, qu'ils ressemblent à des noyés. Pour ma part, je les assimile plutôt à  des ectoplasmes qui reprennent consistance une fois revenus dans leur environnement habituel. Les noyés participent du troisième cercle.
Le premier cercle c'est celui des naufragés qui surnagent, le deuxième c'est celui des épaves qui dérivent sans fin et le troisième et dernier c'est celui des noyés. Ils ont été parfois de simples naufragés, un coup de pouce, mais dans le mauvais sens, a pu les réduire à l'état d'épave. Cependant, les épaves flottent encore, un petit revers supplémentaire et elles coulent définitivement. Ceux-là sont les noyés qui ne remonteront jamais à la surface.
Vous les voyez, délirant, sales, titubant, divaguant, passant leur existence comme ces canettes  vides abandonnées qui roulent au hasard des secousses sur le plancher des wagons et que les rimailleurs de la RATP vous encouragent à déposer dans les poubelles.
Pauvres frères humains que nous fuyons, dégoûtés, horrifiés, terrorisés à l'idée que nous pourrions un jour être à votre place, je vous salue malgré tout, vous qui me donnez quelquefois le sentiment d'être plus vivants que ceux qui ont la chance de se maintenir juste en-deçà de la limite !

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