J'arrive station Auber.
Les panneaux d'affichage dans le hall avant l'octroi, n'indiquent aucun incident. Pourtant l'angoisse du naufragé m'étreint, un RER est affiché pour Poissy mais sans heure de départ. J'ai un mauvais pressentiment comme le navigateur qui voit l'horizon s'obscurcir, est-ce un grain qui s'éloignera ou bien le signe annonciateur d'une tempête, bref, d'un emmerdement de plus.
Je prends mon temps, inutile de se précipiter. Arrivé sur le quai devant mes yeux incrédules, une rame stationne, je lève le regard sur le panneau lumineux, elle se dirige vers ma destination mais semble échouer là comme une baleine mourante sur la grève. Des passagers veillent, inquiets, tentent de deviner la destinée de ce train comme des marins sur le pont contemplant le ciel incertain. Ils balayent le quai dans un sens puis dans l'autre, en quête d'un signe annonciateur, telles les vigies de la Santa Maria, aux aguets ils tendent l'oreille à l'affût d'un signal, d'un bruit, pauvres matelots perdus dans le ventre du Leviathan.
Je monte, il est 18h53, pas de places assises naturellement mais ce n'est pas la foule des grands jours. Je m'accroche à une barre métallique comme le timonier à son gouvernail.
La tension est palpable, on sent que la mutinerie est proche. Soupirs profonds, claquements de lèvres, toutes manifestations encore discrètes du voyageur excédé. A la mine renfrognée des usagers, je devine qu'ils sont là en carafe depuis un bon bout de temps.
Miracle, aussitôt monté, j'entends l'annonce hésitante du conducteur grésillant dans les haut-parleurs " l'évacuation du voyageur malade à Nanterre-Préfecture est achevée, l'incident est désormais terminé et le train va repartir dans deux minutes". Le soulagement est perceptible, les faciès se décrispent. Le train roule et se dirige cahin-caha vers les Champs-Elysées. Une place se libère par extraordinaire. Pas de handicapés, pas de gros, pas de femmes enceintes en vue, aussi je m'assieds et j'ouvre mon bouquin sur le grand explorateur disparu La Pérouse.
C'est un tortillard qui nous mène à destination, bientôt Maisons-Laffitte. 36 minutes de trajet, cela aurait pu être pire.
Il faudra que j'intègre dans ma typologie, ces usagers que sont le handicapé et la femme enceinte. Je pense , par contre, que mon "dépressif" et ma "dépressive" sont potentiellement ces usagers malades et ces malheureux suicidaires qui nous pourrissent la vie. Un autre jour, je me pencherai sur la problématique qu'ils soulèvent. Comment éviter leur acte désespéré à ces naufragés de la vie et comment évacuer plus rapidement ces malades, en les achevant sur place ? J'y reviendrai une autre fois et que celui qui n'a jamais fantasmé sur ce moyen radical d'accélérer la procédure d'évacuation de ces malades "imaginaires" ou non, me jette la première pierre.
Car oui le RER A est un monde cruel et comme sur le radeau de la Méduse, arrive toujours le moment tant redouté où l'on doit déterminer qui l'on va manger ou qui l'on va jeter par-dessus bord pour alléger l'embarcation !
En tant qu'ancien naufragé du RER A (d'une branche plus tranquille : direction St Germain en Laye), c'est toujours un plaisir de vous lire.
RépondreSupprimerCela me rappelle des images, des sons, des odeurs...