Parmi les naufragés du RER A certains sont des résistants. Telle l'armée des ombres, vous les voyez vaillamment combattre pour maintenir et défendre les valeurs de l'humanisme, préserver la part d'humanité qui devrait subsister en chacun de ces voyageurs ballottés au gré des secousses de la rame.
Certains jours, ces résistants se sentent bien seuls au sein de la masse. Une armée de zombies les encerclent, pâles sous le néon blafard, le regard vide et effrayant révélant une absence d'âme et de conscience de soi. Une autre fois, le résistant réalise soudain qu'autour de lui, assis ou debout, ce sont des robots qui peuplent la wagon, mêmes gestes automatiques, mêmes stéréotypes vestimentaires, mêmes comportements prévisibles et qu'il est le dernier représentant vivant de l'espèce humaine. Parfois encore, accroché coûte que coûte à sa raison qui vacille, il a le sentiment d'avoir embarqué sur la nef des fous et de participer aux bacchanales de ces pesteux des temps jadis qui sentant la venue toute proche de l'affreuse camarde se livraient à une dernière orgie de cris, de sexe, de bouffe et d'alcool, affranchis de toutes convenances, de toute pudeur et de tous tabous.
Ces résistants ce sont les intellos ou du moins ceux qui lisent ou tentent de lire dans le délire métropolitain. Comme dans l'armée des ombres, il y a des gens simples, il y a des gens cultivés, des fanatiques qui lisent leur bréviaire ou leur coran; ceux qui se plongent avec délice dans des romans de gare ou de ceux que l'on achète dans les supermarchés entre le rayon boucherie et celui du papier WC pour oublier un instant leur vie de merde; ceux qui ratent leur station fascinés par une lecture de Proust et qui voudraient bien retrouver tout ce "temps perdu" dans les transports; ceux qui se concentrent sur des essais politiques ou historiques, voulant comprendre comment l'évolution de leur société a pu les mener là où ils sont, serrés comme des sardines; ceux qui dévorent les journaux et les magazines des plus arides aux plus simplistes, allant de la finance, en passant par la philosophie pour arriver à la technique nécessaire pour planter un clou; ceux qui lisent même debout, les acharnés; ceux qui lisent les écouteurs vissés sur le crâne pour mieux se couper de la réalité; ceux qui déchiffrent à toute vitesse et ceux dont les lèvres remuent pour épeler chaque mot dans un effort pénible et méritoire mais récompensé.
Cette armée des ombres comme toutes les armées et de tous les temps, rassemble des sans grade, de simples soldats, des sous-officiers et officiers et puis des haut gradés et puis des généraux, mais qu'importe leur rang. Ils constituent un corps, une communauté, celle des gens qui lisent sur un support "papier" comme on dit aujourd'hui par opposition à tous ces pitoyables individus pendus à leur téléphone, hypnotisés par leur Ipad, leur console de jeux et leur écran d'ordinateur etc. Armée des ombres parce que contrairement à ce que pourrait laisser croire la description précédente, il s'agit d'une toute petite armée, une armée clandestine qui dans une rame de RER se dénombre sur les doigts de deux mains, une armée qui se cherche et qui souvent se reconnaît dans une certaine forme de complicité.
Un jour peut-être comme dans Farenheit 451 de Ray Bradbury filmé par François Truffaut, ces lecteurs résistants seront-ils considérés comme déviants et dangereux, pourchassés et éliminés, leurs bouquins de "papier" jetés au feu.
En attendant, mes frères naufragés, lecteurs résistants, qui que vous soyez, quoique vous lisiez, qu'importe, poursuivez le combat et lisez, lisez du "papier", tant que le nom de Guttenberg ne sera pas totalement oublié, vous avez encore un petit espoir et une raison supplémentaire de vivre et de vous sentir vivant au milieu de ces milliers de lobotomisés qui vous oppressent et bientôt peut-être vous opprimeront !
Peut-être qu'un jour on vous interdira de lire comme on vous interdit déjà de fumer dans cette société où tout est réglementé mais contrairement au tabac, la lecture ne tue pas encore à moins qu'un savant fou puisse prouver qu'elle peut engendre un cancer de la tête !
En attendant, mes frères naufragés, lecteurs résistants, qui que vous soyez, quoique vous lisiez, qu'importe, poursuivez le combat et lisez, lisez du "papier", tant que le nom de Guttenberg ne sera pas totalement oublié, vous avez encore un petit espoir et une raison supplémentaire de vivre et de vous sentir vivant au milieu de ces milliers de lobotomisés qui vous oppressent et bientôt peut-être vous opprimeront !
Peut-être qu'un jour on vous interdira de lire comme on vous interdit déjà de fumer dans cette société où tout est réglementé mais contrairement au tabac, la lecture ne tue pas encore à moins qu'un savant fou puisse prouver qu'elle peut engendre un cancer de la tête !
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