mercredi 30 mars 2011

La valse des sans-logis

Je rate de peu ce matin le RER A. Je prends le  train SNCF, vide qui plus est.

Installé confortablement, fait rarissime, le paysage urbain qui défile jusqu'à la Gare Saint-Lazare, me laisse, pour une fois, indifférent. C'est que je suis plongé dans la lecture du toujours merveilleux livre de Stefan Zweig "Le Monde d'hier" au bout duquel j'arrive, je consacrerais certainement, un petit article même si ce cher "honnête homme" n'a pas besoin de moi pour survivre dans le souvenir des amateurs de littérature.
Soudain, deux arrêts après mon point de départ, j'entends derrière moi, désespéré, la voix d'un de ces innombrables solliciteurs qui malheureusement, signe de temps difficiles, sillonnent les transports en commun à la recherche d'une aumône.
Je ne me retourne pas, il y a trop de ces pauvres épaves pour que le voyageur, lui-même souvent naufragé, y prête encore attention. Replié et méfiant, souvent agacé, parfois exaspéré, il envisage, désabusé, ces trouble-fête qui le renvoie à une réalité troublante. Pour certains, un petit coup de pouce du destin mais tourné vers le sol, ne pourrait-il pas les envoyer rejoindre ces "gens" devant lesquels les regards se baissent et qui passent comme des fantômes. Pourtant, de l'agressif qui vous prie de l'excuser du dérangement alors que vous sentez intimement qu'il vous hait par désespoir au misérable qui veut vous émouvoir tel un Thénardier traînant derrière lui sa Cosette, il est difficile de rester indifférent.
Désespéré, non par manque de compassion mais simplement parce qu'il s'agit d'un chanteur et que son monde rentre en collision dans ma tête avec le "Monde " de Zweig, je déraille dans mes "lignes" pour finir par fermer le bouquin.
Mon perturbateur chante avec une guitare, sa voix ressemble à celle de Félix Leclerc auquel je m'apercevrais quand il passera parmi nos rangs qu'il lui ressemble un peu, son style à celui de Brassens.
Il nous chante d'une belle voix grave et douce, la "valse des sans-logis". J'ignore si les paroles sont de lui, je pense que oui, en toute cas elles me touchent, "la vie c'est comme un escalier, on le monte, on le descend, l'essentiel c'est d'être vivant" à peu de chose près.
Il faut croire que je ne suis pas le seul, les pièces d'un euro s'accumulent dans sa main tendue, dont la mienne, et puis il nous quitte, tel un trouvère chenu, digne et serein, remerciant courtoisement ce public conquis.
Petit épisode sans intérêt, certes, mais une manière de commencer sa journée de travail somme toute gratifiante et peu habituelle pour le voyageur comme pour le quémandeur.

Je descends à mon tour et je ne sais pas pourquoi, j'ai dans la tête une rengaine qui tourne en boucle comme un vieux quarante-cinq tours vinyle. Ma grand-mère dans mon enfance me le passait souvent, la "complainte de la Butte" tirée du French-Cancan de Renoir et chantée par Cora Vaucaire, "les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux".

Hélas! Du train où vont les affaires de ce pays, ils le sont de plus en plus et la cohorte des miséreux, elle, de plus en plus imposante. Les français sont par trop pessimistes, paraît-il, pourtant même lorsque, comme ce matin, un rayon printanier illumine un instant la grisaille de la vie, la statistique leur donne sans doute raison.

(Deezer : Cora Vaucaire, la complainte  de la Butte)

4 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Moi aussi perdue dans ma lecture de Mrs Dalloway (et donc déjà déprimée en cette fin de journée), j'entends un jeune homme faire son discours dans la rame. Il dit avoir 24 ans comme moi... Pour une fois j'aurai aimé donner quelque chose (parce que ça aurait pu être un copain ou moi), mais plus de tickets restaurant et je trouvais déplacé de lui filer ma petite monnaie. Alors je n'ai pu que reprendre ma lecture en me disant que Clarissa n'aurait sans doute rien donné (elle n'aurait sans doute jamais pris le rer non plus ^^).

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  3. Très chère Emilie-Charlotte,
    merci pour ce commentaire.
    Comme moi, je vois, que vous avez parfois le "blues".
    Coïncidence troublante vous lisiez Virginia Woolf et moi Stefan Zweig, tous deux morts suicidés, la première en 1941 et le second en 1942 !
    J'espère que votre moral remontera !
    La vie est pleine d'imprévus comme le RER A !
    La vie est "Joie-Souffrance", le titre d'un beau roman de Zoé Oldenbourg.
    Évitez de trop fixer la voie, les rails ont parfois un pouvoir hypnotique.
    Portez votre regard loin vers l'horizon, on peut trébucher, certes, mais cela permet de voir au-delà des apparences parfois sombres et que "la lumière est douce" comme le chante un chœur orthodoxe.

    La Pérouse

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  4. Tout ira mieux quand je lirai Zweig au soleil couchant assise dans le rer a !!

    Merci La Pérouse, honnête homme de son état.

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